vendredi 25 mars 2011

Zino Touafek : Méthode et style

Le Baroud du Corsaire : Zino, je te remercie d’accepter cet entretien pour parler de ta manière de travailler et d’envisager la mode. J’aimerai commencer par un retour en arrière, plus précisément l’été dernier pour ton défilé Fleurs et Couleurs. Tu avais choisi tes mannequins sans qu'ils soient forcément professionnels, c'est bien ça ?

Zino Touafek : C’était des amatrices à 75%. C’était voulu pour montrer ne serait-ce qu’un peu la véritable image de la mode. Si on fait de la mode, c’est pour la voir dehors. Donc j’ai choisi une fille de 14 ans, une lycéenne, une secrétaire de 26 ans, etc. Il y avait aussi des mannequins bien évidemment. Je voulais montrer la vraie image de la mode.

BC : On entend de plus en plus, et surtout l’année dernière, parler de la taille des mannequins. Des stylistes de grandes maisons exigent des mannequins filiformes et en même temps, les mannequins grande taille sont de plus en plus médiatisées, quels sont tes critères à toi ?

Zino : La première présentation, la première vue. Quand j’organise des castings, je fais des essayages immédiats. La fille qui est gracieuse rajoute un plus pour ma robe. Celle qui reste figée, même si elle a les critères, je ne la prends pas. C’est une question de grâce avant tout et l’Algérie ne manque pas de belles filles gracieuses et belles même sans avoir les critères d’un mannequin de podium, apte à défiler avec des hauts talons.

BC : Tu as déjà cousu pour des grandes tailles ? Est-ce que ces silhouettes t’inspirent ?

Zino : Oui, j’ai travaillé pour pas mal d’atelier de couture sur Alger. On recevait principalement des femmes fortes, c’est plutôt le standard algérien (rire). Avec tous mes respects aux femmes algériennes. C’est le standard morphologique de la femme méditerranéenne, large aux hanches et étroite aux épaules et oui, elles m’inspirent. Pourquoi la femme ronde n’a pas le droit d’être bien habillée ? Je ne cache rien pour une ronde. Je mets en valeur ses rondeurs, je les cerne, je travaille la coupe et le modelage. Les formes ça inspire toujours. La mode tourne autour du volume et de la texture, et avec les rondes, ce n’est pas le volume qui manque ! La texture non plus.

« L’homme auquel je pense […] est fort et faible, chaud et froid »

BC : Ce qui a tout de suite retenu mon attention dans ton book, c'est le travail sur la féminité. La femme que tu présentes joue beaucoup de ses atouts et met toujours en avant son corps (mini-jupes, talons très hauts). Qu'est-ce qu'elle exprime à travers cela ?

Zino : Avant tout, une liberté d’expression corporelle. Elle veut à travers ses vêtements exprimer sa liberté, son côté rebelle. C’est une femme actuelle, qui veut avancer sans limites. Cette femme n’a pas d’obstacles, elle est responsable, maman, copine, amoureuse.

BC : La "femme Zino Touafek" a n'importe quel âge, n'importe quelle silhouette et reste bien dans son corps, en vivant sa vie de manière indépendante et volontaire. Qu’en est-il de l’homme ?

Zino : Pour Fleurs et Couleurs j’avais fait défiler un mannequin. C’était un message.

BC : Lequel ?

Zino : Zino va envahir le monde de la mode masculine par une collection sur mesure pour homme. L’homme auquel je pense est aussi responsable et frais. Il ose, égal à la femme dont je parlais. Il ose les shorts, la transparence, le skini (ndB : jean ultra slim) pratique-pratique qui donne une silhouette raffiné. Il est fort et faible, chaud et froid.

BC : Pour quelles occasions créé un styliste comme toi et pour où ?

Zino : Je créé pour moi d’abord, pour satisfaire mes envies artistiques, sans avoir le but de vendre forcément. Et puis, je pense à la fille ou au garçon, qui a une vie sociale, qui sort en boîte, pour une soirée cocktail ou entre copines. Pas de fêtes (ndB : traditionnelles), pas de circoncisions (rire). Je pense à la mariée moderne, jeune, qui ose porter mes robes déjantées.

BC : Tu te décris comme artiste pour le plaisir. Es-tu attiré par la haute-couture et ses critères de rigueur ?

Zino : Dans mon horizon je n’ai pas de prêt-à-porter, haute-couture ou autre. Je n’applique pas les règles. Je crée et point (rire). Pourquoi ces limites et ces termes du Moyen-Age ? « Haute-couture ». On voit dans les défilés et fashion weeks intitulés haute-couture, des robes limites basiques. Elle est où la haute-couture dans tout ça ? Je crée à l’humeur. Ils appellent ce que je fais, « couture », « tailleur » ou « luxe ». Ça me dit rien. Je suis libre et je ne veux pas me limiter dans des appellations crée il y a des années. Je fais de la mode. Tout court.

« Où est le romantisme dans tout ça ? »

BC : Tu as travaillé sur une collection « Rock et Romantoc ». Tu peux nous en dire plus ?

Zino : A travers cette collection je montre le coté rock de la femme d’aujourd’hui, libre et rebelle. « Roman » c’est un clin d’œil au côté peu romantique de l’image actuelle de la mode dans le monde. Et puis « toc » c’est pour le côté superficiel et factice qui est très présent de nos jours : tissus synthétiques, pierres semi-précieuses, imitations, etc. Il y a aussi des modèles hommes.

BC : Est-ce que tu adhères au côté « toc » dans ta vision du style ?

Zino : Pas tout à fait. La mode c’est pas que des cristaux de luxe et des diamants. Il y a aussi le toc, même aspect mais pas même valeur. Peu romantique, on en voit presque sur tous les podiums : les jeux d’épaules, les clous, les chaînettes. Où est le romantisme dans tout ça ?

BC : On revient aux inspirations 80’s dans lesquelles tu as grandi. Tu as pas mal de projets en tant que styliste. Tu es aussi designer et tu as préparé toute une collection d’ameublement pour une chaîne d’hôtel. Tu as encore le temps de respirer et de t’occuper de toi ?

Zino : Je suis structuré et je sais faire la part des choses. Je suis plutôt super actif, je n’arrête pas. Je travaille généralement seul dans mon atelier mis à part mon assistante ainsi qu’une couturière qui vient de temps en temps. J’aime bosser seul pour le moment.

BC : Tes proches portent quel regard sur ton succès ?

Zino : Ils me voient plutôt comme un designer du fait de la formation que j’ai suivi en priorité (rire). Mes amis croient vraiment en moi et vivent avec moi chacun de mes pas vers le succès. Leur regard après chaque défilé, c’est comme des étoiles qui brillent autour de moi. Je les aime.

« Je peux offrir une robe comme je peux la vendre à 100 000 DA »

BC : Je vais casser cette pause sentimentale avec une question résolument plus terre à terre mais qui intéresse tous ceux qui aiment la mode. Le prix de tes tenues. Que peux-tu me dire sur ça ?

Zino : L’art n’a pas de prix. Je peux offrir une robe, comme je peux la vendre à 100 000 DA. Tout dépend de mes humeurs. C’est pas très chic de mettre des prix en avant, c’est pas des t-shirts. Mais minimum 300 euros.

BC : Tu t’habilles où ?

Zino : J’achète mes fringues à Oran, il y a des boutiques sympas. On est bien accueilli et ils ont du goût. C’est sympa de faire du shopping là-bas.

BC : Est-ce que certaines de tes tenues sont emblématiques ?

Zino : Non, toutes mes robes sont spéciales pour moi. Je n’ai pas de coup de cœur.


BC : Pour finir, un petit portrait chinois. Si tu étais une tenue ou un vêtement tu serais ?

Zino : Un corset, ya M. Le Corsaire!

BC : Surprenant pour un styliste qui défend la liberté du corps.

Zino : C’est “ l’homme Zino”, chaud et froid, parfois il serre, parfois il desserre.  

De Z à O, petit tour sur la planète de Zino Touafek

Débarqué sur la planète mode comme Z… orro ?

BC : Zino, tu es un jeune créateur et en même temps tu t’es forgé une belle expérience depuis le temps. Comment vois-tu le secteur de la mode en Algérie ?

Zino : Lorsque j’ai été en Tunisie pour la finale Elite pour habiller les candidates algériennes, j’ai tissé des liens avec les représentantes marocaines. Elles m’ont donné l’exemple. Elles me boostent parce que quand je vois nos confrères et nos consœurs du Maroc et de la Tunisie qui font avec les moyens du bord et qui réussissent à faire des merveilles. Ça me démange ! (rire)

BC : L'Algérie a encore beaucoup de travail ?

Zino : L’Algérie est loin, très loin. Nos voisins organisent des fashion weeks, des festimode, des texmed, des workshop. Ils ont des écoles de mode comme Casa di la Moda à Casablanca ou Esmod à Tunis.

BC : Comment expliquer que l’Algérie soit si loin ?

Zino : Il n’y a tout simplement pas d’initiatives.

BC : Un autre styliste m’a parlé d’un fort esprit de compétition dans la profession. Qu’en penses-tu ?

Zino : Oui tout à fait. Il n’y a aucun lien entre les stylistes. Je recommande d’autres stylistes quand je vois qu’ils font du bon travail, eux non. En été j’avais reçu une proposition pour participer à un évènement intéressant à Marrakech. Ils m’ont ensuite demandé les noms d’autres stylistes algériens qui font du bon boulot. J’ai recommandé une styliste qui a créé sa maison. Elle ne m’a jamais remercié. C’est une question de mentalité, on est artiste ou on ne l’est pas.

BC : Il y aurait les stylistes-artistes et les stylistes-businessmen ?

Zino : (rire) Il y a 90% de stylistes businessmen. Je comprends, il faut bien manger. Mais il faut aussi penser à l’évolution de la mode en tant qu’industrie.

BC : Tu me décris un monde de requin.

Zino : (rire) Je vais te dire, après mes défilés personne ne me félicite parce qu’ils préfèrent colporter des ragots sur ma vie privée et critiquer mon travail en disant que je fais des nus et que je dénude les algériennes. Mais ils restent au cocktail dinatoire pour manger, c’est fou ! (rire). C’est culturel et on fait avec si on veut survivre dans le milieu de la mode. Milieu qui n’existe même pas, mis à part quelques initiatives qui se comptent sur les doigts d’une main… ou même pas.

BC : Ces attaques personnelles touchent ta vie privée, tu arrives à aller au-delà ?

Zino : Oui ! Moi je suis dans le contemporain, mais certains sont loin de s’y connaître. J’essaie de transmettre d’abord la culture de la mode. (rire)

BC : Est-ce que certaines institutions de la culture ou de l’artisanat t’aident à monter des projets dans ce sens ?

Zino : A vrai dire, je n’ai jamais frappé à leur porte. Il faut d’abord penser au statut de l’artiste et ensuite, la mode suivra ces institutions. Il faut d’abord lutter pour ce statut de l’artiste, qu’il soit acteur, créateur, écrivain, etc.

BC : Les institutions sont hors concours, les professionnels ne s’épaulent pas et sont en compétition, et le public, quel place prend-il ? Est-ce qu'il est demandeur de qualité, de nouveauté ?

Zino : Le public est là pour se divertir, pas pour acheter, ni pour voir et être branché. C’est très compliqué tout ça. Les gens cherchent juste un event (ndB : un évènement) pour sortir, voir, des défilés ou autres. Le public est mal informé certes. Il n’y a pas de médiatisation. Là, je parle en général. Moi dernièrement, j’ai eu le soutien des magazines. Beaucoup de stylistes fuient tout ce qui est publique et n’affichent pas leurs modèles par peur d’être copiés. Pour moi, ils ne sont pas cultivés car si on est copié, ça signifie qu’on a réussi. Comme l’a dit Coco Chanel.


D’Inspiration en Inspiration.

Benha le Corsaire : Tu as déjà mentionné dans une interview précédente (pour le magazine Dziriya.net) que tu étais très admiratif du travail de Lagerfeld et de Karim Sifaoui. As-tu d’autres mentors ou muses ?

Zino Touafek : J’ai commencé à coudre dans les années 2000, à dessiner bien avant. J’étais très jeune pour connaître les mots « muse » et « mentor ». Par contre, mes sources d’inspiration étaient multiples à l’époque : la télévision, les belles femmes du cinéma noir et blanc, les photographies. J’observais tout ce qui m’entourait.

BC : Ton entourage féminin t’a-t-il inspiré ? Et de quelle manière ?

Zino : Je voyais les anciennes photos de famille dans des albums usés très vintage. Tout ça m’inspirait. Les femmes qui m’entouraient au quotidien étaient les femmes branchées des années 70, 80. Elles s’habillaient en jupettes, jeans taille haute, etc.

BC : Pas vraiment le style traditionnel, tout comme tes créations actuelles.

Zino : Le traditionnel est venu après, avec les fêtes. J’observais surtout les femmes chics et élégantes des années 80. Les gros bijoux en toc, les dorures partout, le cuir et le bling bling.

New Generation

BC : Certains noms de stylistes ont acquis leurs lettres de noblesse dans la mode algérienne. Te reconnais-tu comme un héritier de ces couturiers ou penses-tu qu'il n'y a pas eu de transmission entre les générations ?

Zino : Transmission ? (rire) On ne les connaît même pas. Il n’y a pas eu de transmission et je ne les connais que de noms. Je n’ai jamais visité leurs boutiques mais j’ai vu leurs créations sur internet. C’est assez répétitif et ça ne donne plus envie de les suivre du coup.

BC : De l’extérieur, j’imaginais que les générations plus expérimentées et qui avaient réussis avaient une certaine influence sur le milieu, mais tu as un regard assez critique.

Zino : Oui et je le dis souvent.

BC : Tu échanges régulièrement avec de jeunes créateurs. Est-ce qu’ils portent  le même regard que toi ?

Zino : En Algérie c’est chacun pour soi. D’ailleurs, je me bas toujours et depuis pour une association de la couture algérienne ou des stylistes designers. Personne ne répond oui. Personne ne se donne la main. Les générations précédentes ont eu des défilés, des endroits prestigieux, des couvertures, la télé et nous non. Rien.

BC : Ce point m’interpelle particulièrement. Quand tu parles d’association de couture algérienne, c’est un élément qui manque au secteur ?

Zino : J’encourage tous les jeunes créateurs. C’est très difficile il faut s’accrocher.

ZinOfficial ?

BC : Tu as parlé de certaines attaques assez dures à gérer et en même temps tu vis actuellement de beaux succès. On parle de plus en plus de toi et tu fais de plus en plus de choses, tu as réussi à te faire ta place ?

Zino : Oui je vis en plein succès. Je parle de mes amis, de ceux qui m’encouragent. Pas du tout au sens large du terme succès.

BC : Alors tu n’es pas devenu un people de la scène algérienne ?

Zino : (rire) Sérieusement ? People ! Pour être people, il faut déjà un show biz’. Et des shows.  Paris Hilton à l’algérienne… Non, revenons à notre place.

BC : Certaines soirées avaient un accent très mondain cet été, et pendant le Ramadhan aussi.

Zino : (rire) J’ai été invité VIP à l’une d’entre elles. J’ai pas trouvé de place et on a été mal accueilli ! Non, non, je suis beaucoup plus classique que ça. Je ne plane pas et je parle dans le concret.

BC : Alors concrètement, quelle est ta vision sur ce qu’il y a à faire pour la mode algérienne ?

Zino : Dans la mode en Algérie, il faut penser à avancer seul. Créer, créer, créer et oser. Et présenter de nouvelles choses, sélectionner les podiums quand on a le choix, participer au bon moment au meilleur endroit et présenter de la nouveauté, agréable pour l’œil, vendable et original. Sans voir les autres, sans chercher après un lien commun qui ne va jamais se réaliser, sans faire du bruit par rapport à l’autre. Voilà.

BC : Tu mentionnais tout à l’heure la couverture médiatique des magazines. Ils offrent une couverture, mais organisent aussi des défilés, des évènements, etc. C’est une double casquette qui peut être intéressante pour le secteur ou c’est plutôt de la com’ orchestrée ?

Zino : Nul ne cherche après l’échange d’intérêt. Chacun utilise l’autre et vice-versa. Là, on est dans le show biz. 

samedi 19 mars 2011

Invitation au Baroud

Retrouvez-nous très bientôt pour un nouveau Baroud!

Un nouveau site, une nouvelle formule, le Baroud du Corsaire revient sur un rythme saisonnier, avec des dossiers et articles tous les 4 mois.

A venir prochainement : des dossiers sur le rapport des musulmans à leur manière de s'habiller, les projets des jeunes étudiants stylistes-modélistes et des interviews. 

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