Le Baroud du Corsaire : Zino, je te remercie d’accepter cet entretien pour parler de ta manière de travailler et d’envisager la mode. J’aimerai commencer par un retour en arrière, plus précisément l’été dernier pour ton défilé Fleurs et Couleurs. Tu avais choisi tes mannequins sans qu'ils soient forcément professionnels, c'est bien ça ?
Zino Touafek : C’était des amatrices à 75%. C’était voulu pour montrer ne serait-ce qu’un peu la véritable image de la mode. Si on fait de la mode, c’est pour la voir dehors. Donc j’ai choisi une fille de 14 ans, une lycéenne, une secrétaire de 26 ans, etc. Il y avait aussi des mannequins bien évidemment. Je voulais montrer la vraie image de la mode.
BC : On entend de plus en plus, et surtout l’année dernière, parler de la taille des mannequins. Des stylistes de grandes maisons exigent des mannequins filiformes et en même temps, les mannequins grande taille sont de plus en plus médiatisées, quels sont tes critères à toi ?
Zino : La première présentation, la première vue. Quand j’organise des castings, je fais des essayages immédiats. La fille qui est gracieuse rajoute un plus pour ma robe. Celle qui reste figée, même si elle a les critères, je ne la prends pas. C’est une question de grâce avant tout et l’Algérie ne manque pas de belles filles gracieuses et belles même sans avoir les critères d’un mannequin de podium, apte à défiler avec des hauts talons.
BC : Tu as déjà cousu pour des grandes tailles ? Est-ce que ces silhouettes t’inspirent ?
Zino : Oui, j’ai travaillé pour pas mal d’atelier de couture sur Alger. On recevait principalement des femmes fortes, c’est plutôt le standard algérien (rire). Avec tous mes respects aux femmes algériennes. C’est le standard morphologique de la femme méditerranéenne, large aux hanches et étroite aux épaules et oui, elles m’inspirent. Pourquoi la femme ronde n’a pas le droit d’être bien habillée ? Je ne cache rien pour une ronde. Je mets en valeur ses rondeurs, je les cerne, je travaille la coupe et le modelage. Les formes ça inspire toujours. La mode tourne autour du volume et de la texture, et avec les rondes, ce n’est pas le volume qui manque ! La texture non plus.
« L’homme auquel je pense […] est fort et faible, chaud et froid »
BC : Ce qui a tout de suite retenu mon attention dans ton book, c'est le travail sur la féminité. La femme que tu présentes joue beaucoup de ses atouts et met toujours en avant son corps (mini-jupes, talons très hauts). Qu'est-ce qu'elle exprime à travers cela ?
Zino : Avant tout, une liberté d’expression corporelle. Elle veut à travers ses vêtements exprimer sa liberté, son côté rebelle. C’est une femme actuelle, qui veut avancer sans limites. Cette femme n’a pas d’obstacles, elle est responsable, maman, copine, amoureuse.
BC : La "femme Zino Touafek" a n'importe quel âge, n'importe quelle silhouette et reste bien dans son corps, en vivant sa vie de manière indépendante et volontaire. Qu’en est-il de l’homme ?
Zino : Pour Fleurs et Couleurs j’avais fait défiler un mannequin. C’était un message.
BC : Lequel ?
Zino : Zino va envahir le monde de la mode masculine par une collection sur mesure pour homme. L’homme auquel je pense est aussi responsable et frais. Il ose, égal à la femme dont je parlais. Il ose les shorts, la transparence, le skini (ndB : jean ultra slim) pratique-pratique qui donne une silhouette raffiné. Il est fort et faible, chaud et froid.
BC : Pour quelles occasions créé un styliste comme toi et pour où ?
Zino : Je créé pour moi d’abord, pour satisfaire mes envies artistiques, sans avoir le but de vendre forcément. Et puis, je pense à la fille ou au garçon, qui a une vie sociale, qui sort en boîte, pour une soirée cocktail ou entre copines. Pas de fêtes (ndB : traditionnelles), pas de circoncisions (rire). Je pense à la mariée moderne, jeune, qui ose porter mes robes déjantées.
BC : Tu te décris comme artiste pour le plaisir. Es-tu attiré par la haute-couture et ses critères de rigueur ?
Zino : Dans mon horizon je n’ai pas de prêt-à-porter, haute-couture ou autre. Je n’applique pas les règles. Je crée et point (rire). Pourquoi ces limites et ces termes du Moyen-Age ? « Haute-couture ». On voit dans les défilés et fashion weeks intitulés haute-couture, des robes limites basiques. Elle est où la haute-couture dans tout ça ? Je crée à l’humeur. Ils appellent ce que je fais, « couture », « tailleur » ou « luxe ». Ça me dit rien. Je suis libre et je ne veux pas me limiter dans des appellations crée il y a des années. Je fais de la mode. Tout court.
« Où est le romantisme dans tout ça ? »
BC : Tu as travaillé sur une collection « Rock et Romantoc ». Tu peux nous en dire plus ?
Zino : A travers cette collection je montre le coté rock de la femme d’aujourd’hui, libre et rebelle. « Roman » c’est un clin d’œil au côté peu romantique de l’image actuelle de la mode dans le monde. Et puis « toc » c’est pour le côté superficiel et factice qui est très présent de nos jours : tissus synthétiques, pierres semi-précieuses, imitations, etc. Il y a aussi des modèles hommes.
BC : Est-ce que tu adhères au côté « toc » dans ta vision du style ?
Zino : Pas tout à fait. La mode c’est pas que des cristaux de luxe et des diamants. Il y a aussi le toc, même aspect mais pas même valeur. Peu romantique, on en voit presque sur tous les podiums : les jeux d’épaules, les clous, les chaînettes. Où est le romantisme dans tout ça ?
BC : On revient aux inspirations 80’s dans lesquelles tu as grandi. Tu as pas mal de projets en tant que styliste. Tu es aussi designer et tu as préparé toute une collection d’ameublement pour une chaîne d’hôtel. Tu as encore le temps de respirer et de t’occuper de toi ?
Zino : Je suis structuré et je sais faire la part des choses. Je suis plutôt super actif, je n’arrête pas. Je travaille généralement seul dans mon atelier mis à part mon assistante ainsi qu’une couturière qui vient de temps en temps. J’aime bosser seul pour le moment.
BC : Tes proches portent quel regard sur ton succès ?
Zino : Ils me voient plutôt comme un designer du fait de la formation que j’ai suivi en priorité (rire). Mes amis croient vraiment en moi et vivent avec moi chacun de mes pas vers le succès. Leur regard après chaque défilé, c’est comme des étoiles qui brillent autour de moi. Je les aime.
« Je peux offrir une robe comme je peux la vendre à 100 000 DA »
BC : Je vais casser cette pause sentimentale avec une question résolument plus terre à terre mais qui intéresse tous ceux qui aiment la mode. Le prix de tes tenues. Que peux-tu me dire sur ça ?
Zino : L’art n’a pas de prix. Je peux offrir une robe, comme je peux la vendre à 100 000 DA. Tout dépend de mes humeurs. C’est pas très chic de mettre des prix en avant, c’est pas des t-shirts. Mais minimum 300 euros.
BC : Tu t’habilles où ?
Zino : J’achète mes fringues à Oran, il y a des boutiques sympas. On est bien accueilli et ils ont du goût. C’est sympa de faire du shopping là-bas.
BC : Est-ce que certaines de tes tenues sont emblématiques ?
Zino : Non, toutes mes robes sont spéciales pour moi. Je n’ai pas de coup de cœur.
BC : Pour finir, un petit portrait chinois. Si tu étais une tenue ou un vêtement tu serais ?
Zino : Un corset, ya M. Le Corsaire!
BC : Surprenant pour un styliste qui défend la liberté du corps.
Zino : C’est “ l’homme Zino”, chaud et froid, parfois il serre, parfois il desserre.