lundi 24 décembre 2012

Une histoire de poule et d'oeuf

Marta R. Hidalgo a été rédactrice de Woman Magazine et Vogue, elle a aussi été journaliste et l’est toujours aujourd’hui.

Dans l’introduction des Jeunes Créateurs de Mode elle pose l’idée que le vêtement fait parler le corps. Cette phrase a tout de suite retenu mon attention.

Est-ce réellement le cas ? Le vêtement a-t-il une place si importante qu’il puisse donner la parole au corps ?

Le mode vestimentaire que l’on expose aux regards des autres est un outil de communication. Il est une vitrine de ce que l’on veut montrer selon les circonstances, le jour, le lieu, l’humeur, etc., de ce que l’on est en termes d’identité et de personnalité.

Pourtant, je ne donnerai pas au vêtement la force d’être un orateur pour le corps. Pour moi, c’est bien le corps qui fait parler le vêtement. 

Un corps vibre sous le tissu; un vêtement sans corps n’est pas très intéressant. Sur les podiums, les mannequins donnent vie à la tenue et non pas l’inverse.
Le vêtement a-t-il le pouvoir de faire s’exprimer le corps ? Verre à moitié plein ou à moitié vide ? 

Je dirai que le corps s’exprime, point. 

Et c'est ce que la personne veut construire de son rapport au lien social, et à travers elle, l’époque et la société même, qui parlent par le vêtement. 



Hidalgo, M., R. (2007). Jeunes Créateurs de Mode. Köln : Taschen

Brocarts de Soie

Brocart de soie chez Stragier, maison belge

Il m'a semblé évident que le premier article "au coeur des matières" prenne pour sujet les brocarts de soie, étoffe noble par excellence et que l'on connait si peu pourtant.

Sans trop entrer dans des détails que les plus intéressés pourront retrouver sans problèmes dans quelques bons titres, rappelons rapidement l'origine de ce tissu et sa définition.

Tout commence en Asie, plus précisément en Chine, avec la sériciculture. Rappel : la sériciculture c'est tout simplement la culture qui permet d'exploiter le fil issu du cocon des vers à soie. Très vite, elle s'étendra grâce aux nomades jusqu'en Inde avec des cultures domestiques et non-domestiques. Les premières donnent un rendu beaucoup plus lisse, le cocon étant récupéré, alors même que le ver est encore à l'intérieur, le tuant bien entendu durant l'opération. Les secondes, dites aussi "sauvages", sont issues de cocons percés par la sortie du ver. Celui-ci reste donc en vie, et les fils brisés doivent être filer pour pouvoir en obtenir des longs. Le rendu sera rugueux avec de petits défauts pourraient-on dire. Tout comme pour les perles baroques, ce sont justement ces défauts qui font la beauté et l'originalité de cette soie.

Madmoizelle nous offre un aperçu du brocart façon Mc Queen


Qu'est-ce qu'un brocart de soie exactement ?
Il s'agit d'un tissage de soie avec un motif purement décoratif, indépendant de la structure du tissu. Concrètement, une trame supplémentaire est utilisée pour les motifs ou encore une chaîne supplémentaire. Au final, le motif ne fera pas partie intégrale du tissage principal. Le résultat ressemble à une broderie, selon le fil utilisé, de soie, d'or ou encore d'argent. Cette technique rappelle celle de la tapisserie, à la différence que lors du tissage du brocart, le fil principal de la trame passe d'une lisière à l'autre, ce qui permet de former une fondation de tissage pour la trame du motif.
A partie de cette base technique, plusieurs variantes permettent de retrouver des brocarts différents en finesse, richesse et précision : fond en or et argent associé à des motifs de soie, fond en soie de couleurs associée à des motifs or et argent, utilisation d'armures multiples (satin, toile, twill) pour obtenir différents fonds et un seul type de motifs, double chaîne de fond et de liaison de la trame des motifs, etc.

Parler d'un brocart sans spécifier le type de tissus dont il s'agit reste un langage de néophyte. Chacun possède ses caractéristiques propres qui précisent aux connaisseurs toute la représentation à lui associer : motifs d'or qui "mangent" presque tout le fond tant ils sont opulents, motifs plus légers mais mêlant l'or et l'argent et vendus au poids, motifs uniquement en fil de soie pour un rendu infiniment plus léger, etc.

N'existe-t-il que des brocarts à base de soie ? Absolument pas. Bien sûr, ce sont les plus prisés, notamment pour les tenues de cérémonies, mais on retrouve également des brocarts de lin ou de laine, plus "utiles" face aux climats rudes, de coton et autres fibres.


Quelques livres :
Agrawal, Y. (2004). Les brocarts de soie. New Delhi : Roli. 

La guerre du caftan


Caftan perse posté sur le forum La Cour du Renard

J'ai toujours été intéressée, amusée et questionnée de voir comme certains objets alimentent des débats identitaires. Le caftan est vraiment très remarquable en Algérie. Il suffit de faire un tour sur internet, dans les mariages, les boutiques et on se rend compte que le caftan (dénoncé ou valorisé comme "marocain") est au coeur de débats passionnels (pas toujours passionnants).

Caftan algérien bleu roi Créations Dounia
Caftan Lina disponible sur Caftan-enligne.com


Nie-t-il les origines algériennes de celle qui le porte ? Peut-on se sentir menacé au niveau de notre identité par le mélange des cultures ? Ce sont des questions qui ont des réponses toutes personnelles je crois. Pour prendre un peu de distance avec les revendications parfois ridicules que l'on peut faire, je propose de jeter un regard objectif sur l'évolution de ce costume.


Au niveau de l'histoire des costumes, le caftan n'est ni spécialement marocain, ni spécialement algérien, ou turc ou mongol ou andalous, etc., etc.
La tenue a simplement profité de différentes cultures pour se développer et connaître une richesse de forme, de coupes, de motifs. C'est grâce à cette diversité que la tenue a réussi à traverser le temps, en s'adaptant aux cultures, aux modes et aux moeurs des différentes époques.
Avant d'être à la mode au Maroc, il l'était en Andalousie. Et pour arriver en Andalousie, il a fait un long voyage depuis la Syrie. Et en Syrie, s'il a pu s'épanouir c'est à partir de l'exemple des modèles perses, etc., etc.

Au départ c'est quoi un caftan ?
- un manteau mixte : aussi bien porté par les hommes que par les femmes; à noter que la forme la plus courante en Algérie est celle d'un manteau féminin,
- très richement travaillé : ce qui veut dire que l'effet visuel se devait d'être fin, élégant et luxueux, mais aussi bien sûr, que le coût final en faisait un costume de rois,
- long et ample,
- à manches longues,
- de la catégorie des vêtements "de dessus" : c'est-à-dire qu'il n'était pas choquant d'apparaître sans rien au-dessus devant des invités par exemple (d'autant plus qu'il était justement long et ample). Par exemple, la qmadja, cette longue chemise en dentelle ou en tulle portée par les femmes sous leurs ghlila, était un vêtement "de dessous".

Caftan en soie ottoman en vente sur Expertissim

Si aujourd'hui on parle de caftans "marocains", est-ce que ce n'est pas plutôt parce que les stylistes de ce pays ont beaucoup (et fantastiquement) travaillé sur sa forme pour le promouvoir ?

D'un point de vue objectif, le caftan comme vêtement n'est pas typiquement marocain ni typiquement algérien... Sa déclinaison marocaine répond par contre à des codes bien précis qui font qu'une variante particulière et remarquable de ce vêtement est devenue emblématique du Maroc.
Ce qui peut être intéressant plutôt que de sombrer dans des débats nationalisants stériles, ce serait de voir de quelle manière les deux formes se sont développées, quelles sont les différences et d'où elles viennent, faire le lien avec les évènements sociaux, économiques et politiques qui souvent sont à l'origine des bouleversements de la mode.