Débarqué sur la planète mode comme Z… orro ?
BC : Zino, tu es un jeune créateur et en même temps tu t’es forgé une belle expérience depuis le temps. Comment vois-tu le secteur de la mode en Algérie ?
Zino : Lorsque j’ai été en Tunisie pour la finale Elite pour habiller les candidates algériennes, j’ai tissé des liens avec les représentantes marocaines. Elles m’ont donné l’exemple. Elles me boostent parce que quand je vois nos confrères et nos consœurs du Maroc et de la Tunisie qui font avec les moyens du bord et qui réussissent à faire des merveilles. Ça me démange ! (rire)
BC : L'Algérie a encore beaucoup de travail ?
Zino : L’Algérie est loin, très loin. Nos voisins organisent des fashion weeks, des festimode, des texmed, des workshop. Ils ont des écoles de mode comme Casa di la Moda à Casablanca ou Esmod à Tunis.
BC : Comment expliquer que l’Algérie soit si loin ?
Zino : Il n’y a tout simplement pas d’initiatives.
BC : Un autre styliste m’a parlé d’un fort esprit de compétition dans la profession. Qu’en penses-tu ?
Zino : Oui tout à fait. Il n’y a aucun lien entre les stylistes. Je recommande d’autres stylistes quand je vois qu’ils font du bon travail, eux non. En été j’avais reçu une proposition pour participer à un évènement intéressant à Marrakech. Ils m’ont ensuite demandé les noms d’autres stylistes algériens qui font du bon boulot. J’ai recommandé une styliste qui a créé sa maison. Elle ne m’a jamais remercié. C’est une question de mentalité, on est artiste ou on ne l’est pas.
BC : Il y aurait les stylistes-artistes et les stylistes-businessmen ?
Zino : (rire) Il y a 90% de stylistes businessmen. Je comprends, il faut bien manger. Mais il faut aussi penser à l’évolution de la mode en tant qu’industrie.
BC : Tu me décris un monde de requin.
Zino : (rire) Je vais te dire, après mes défilés personne ne me félicite parce qu’ils préfèrent colporter des ragots sur ma vie privée et critiquer mon travail en disant que je fais des nus et que je dénude les algériennes. Mais ils restent au cocktail dinatoire pour manger, c’est fou ! (rire). C’est culturel et on fait avec si on veut survivre dans le milieu de la mode. Milieu qui n’existe même pas, mis à part quelques initiatives qui se comptent sur les doigts d’une main… ou même pas.
BC : Ces attaques personnelles touchent ta vie privée, tu arrives à aller au-delà ?
Zino : Oui ! Moi je suis dans le contemporain, mais certains sont loin de s’y connaître. J’essaie de transmettre d’abord la culture de la mode. (rire)
BC : Est-ce que certaines institutions de la culture ou de l’artisanat t’aident à monter des projets dans ce sens ?
Zino : A vrai dire, je n’ai jamais frappé à leur porte. Il faut d’abord penser au statut de l’artiste et ensuite, la mode suivra ces institutions. Il faut d’abord lutter pour ce statut de l’artiste, qu’il soit acteur, créateur, écrivain, etc.
BC : Les institutions sont hors concours, les professionnels ne s’épaulent pas et sont en compétition, et le public, quel place prend-il ? Est-ce qu'il est demandeur de qualité, de nouveauté ?
Zino : Le public est là pour se divertir, pas pour acheter, ni pour voir et être branché. C’est très compliqué tout ça. Les gens cherchent juste un event (ndB : un évènement) pour sortir, voir, des défilés ou autres. Le public est mal informé certes. Il n’y a pas de médiatisation. Là, je parle en général. Moi dernièrement, j’ai eu le soutien des magazines. Beaucoup de stylistes fuient tout ce qui est publique et n’affichent pas leurs modèles par peur d’être copiés. Pour moi, ils ne sont pas cultivés car si on est copié, ça signifie qu’on a réussi. Comme l’a dit Coco Chanel.
D’Inspiration en Inspiration.
Benha le Corsaire : Tu as déjà mentionné dans une interview précédente (pour le magazine Dziriya.net) que tu étais très admiratif du travail de Lagerfeld et de Karim Sifaoui. As-tu d’autres mentors ou muses ?
Zino Touafek : J’ai commencé à coudre dans les années 2000, à dessiner bien avant. J’étais très jeune pour connaître les mots « muse » et « mentor ». Par contre, mes sources d’inspiration étaient multiples à l’époque : la télévision, les belles femmes du cinéma noir et blanc, les photographies. J’observais tout ce qui m’entourait.
BC : Ton entourage féminin t’a-t-il inspiré ? Et de quelle manière ?
Zino : Je voyais les anciennes photos de famille dans des albums usés très vintage. Tout ça m’inspirait. Les femmes qui m’entouraient au quotidien étaient les femmes branchées des années 70, 80. Elles s’habillaient en jupettes, jeans taille haute, etc.
BC : Pas vraiment le style traditionnel, tout comme tes créations actuelles.
Zino : Le traditionnel est venu après, avec les fêtes. J’observais surtout les femmes chics et élégantes des années 80. Les gros bijoux en toc, les dorures partout, le cuir et le bling bling.
New Generation
BC : Certains noms de stylistes ont acquis leurs lettres de noblesse dans la mode algérienne. Te reconnais-tu comme un héritier de ces couturiers ou penses-tu qu'il n'y a pas eu de transmission entre les générations ?
Zino : Transmission ? (rire) On ne les connaît même pas. Il n’y a pas eu de transmission et je ne les connais que de noms. Je n’ai jamais visité leurs boutiques mais j’ai vu leurs créations sur internet. C’est assez répétitif et ça ne donne plus envie de les suivre du coup.
BC : De l’extérieur, j’imaginais que les générations plus expérimentées et qui avaient réussis avaient une certaine influence sur le milieu, mais tu as un regard assez critique.
Zino : Oui et je le dis souvent.
BC : Tu échanges régulièrement avec de jeunes créateurs. Est-ce qu’ils portent le même regard que toi ?
Zino : En Algérie c’est chacun pour soi. D’ailleurs, je me bas toujours et depuis pour une association de la couture algérienne ou des stylistes designers. Personne ne répond oui. Personne ne se donne la main. Les générations précédentes ont eu des défilés, des endroits prestigieux, des couvertures, la télé et nous non. Rien.
BC : Ce point m’interpelle particulièrement. Quand tu parles d’association de couture algérienne, c’est un élément qui manque au secteur ?
Zino : J’encourage tous les jeunes créateurs. C’est très difficile il faut s’accrocher.
ZinOfficial ?
BC : Tu as parlé de certaines attaques assez dures à gérer et en même temps tu vis actuellement de beaux succès. On parle de plus en plus de toi et tu fais de plus en plus de choses, tu as réussi à te faire ta place ?
Zino : Oui je vis en plein succès. Je parle de mes amis, de ceux qui m’encouragent. Pas du tout au sens large du terme succès.
BC : Alors tu n’es pas devenu un people de la scène algérienne ?
Zino : (rire) Sérieusement ? People ! Pour être people, il faut déjà un show biz’. Et des shows. Paris Hilton à l’algérienne… Non, revenons à notre place.
BC : Certaines soirées avaient un accent très mondain cet été, et pendant le Ramadhan aussi.
Zino : (rire) J’ai été invité VIP à l’une d’entre elles. J’ai pas trouvé de place et on a été mal accueilli ! Non, non, je suis beaucoup plus classique que ça. Je ne plane pas et je parle dans le concret.
BC : Alors concrètement, quelle est ta vision sur ce qu’il y a à faire pour la mode algérienne ?
Zino : Dans la mode en Algérie, il faut penser à avancer seul. Créer, créer, créer et oser. Et présenter de nouvelles choses, sélectionner les podiums quand on a le choix, participer au bon moment au meilleur endroit et présenter de la nouveauté, agréable pour l’œil, vendable et original. Sans voir les autres, sans chercher après un lien commun qui ne va jamais se réaliser, sans faire du bruit par rapport à l’autre. Voilà.
BC : Tu mentionnais tout à l’heure la couverture médiatique des magazines. Ils offrent une couverture, mais organisent aussi des défilés, des évènements, etc. C’est une double casquette qui peut être intéressante pour le secteur ou c’est plutôt de la com’ orchestrée ?
Zino : Nul ne cherche après l’échange d’intérêt. Chacun utilise l’autre et vice-versa. Là, on est dans le show biz.